Les émissions de GES ont connu une augmentation record et la fenêtre d’une intervention internationale efficace sur le climat s’amenuise. L’augmentation record de 5 % des émissions planétaires de gaz à effet de serre (GES) enregistrée en 2010 va monopoliser la conférence de Bonn qui débute lundi. Mais il n’est pas évident que la menace croissante d’une perte de contrôle du climat planétaire convaincra les pays les plus récalcitrants, comme le Canada ou la Russie, de hausser la barre des efforts pour juguler cette crise anticipée.
Il est minuit moins cinq dans les pourparlers sur le climat, car la conférence de Bonn, qui commence lundi pour se terminer le 17 juin, est la dernière rencontre importante avant que les 194 pays signataires de la Convention sur le climat ne se réunissent à Durban, en Afrique du Sud, au début de décembre, pour la 17e «COP» (Conference of the Parties). C’est au cours de cette conférence qu’ils devraient accoucher d’un plan de réduction des émissions destiné à stabiliser la hausse du climat planétaire à 2 °C, ce qui a été convenu à Copenhague et réitéré à Cancún.
Mais d’ores et déjà, très peu d’observateurs se disent optimistes, car le rythme des négociations ne suit pas, et de loin, celui des émissions anthropiques de GES. Il faut dire qu’il y a de quoi désespérer de la capacité de l’espèce humaine à faire preuve de prévoyance quand on constate qu’après 20 ans de pourparlers et de négociations internationales, les émissions anthropiques ont battu tous les records connus en un an.
Pire, le seuil de 32 milliards de tonnes (gigatonnes ou Gt) de GES par année, soit le sommet d’émissions anticipé pour 2020 et qui constitue la borne ultime à ne jamais dépasser, sera vraisemblablement atteint en 2012, soit neuf ans plus tôt. Or c’est en 2012 que les 37 pays occidentaux liés par le protocole de Kyoto devaient avoir réduit leurs propres émissions de 5 % pour donner à la planète un peu de répit.
Le seuil d’émissions de 32 Gt, s’il n’était atteint qu’en 2020, permettrait à la planète d’avoir une chance sur deux — pas plus! — de plafonner la hausse moyenne du climat à deux degrés Celsius. Au-delà de 2 °C, le réchauffement climatique risque de devenir hors contrôle, car il amorcera une phase d’auto-alimentation à peu près impossible à arrêter. En effet, la hausse du climat terrestre libérera des milliards de tonnes de méthane enfouies dans le pergélisol nordique et au fond des mers sous forme d’hydrates de méthane, une sorte de glace qui s’enflamme au contact de l’oxygène!
Et cette contribution additionnelle du méthane, un gaz 23 fois plus actif comme GES que le CO2, coïncidera avec une réduction croissante de la capacité des mers à absorber le gaz carbonique.
L’augmentation des émissions de GES en 2010 provient à 44 % de la combustion du charbon, à 36 % du pétrole et à 20 % du gaz. Globalement, 40 % des émissions proviennent des pays occidentaux et le reste, soit 60 %, des pays en développement. Les économistes de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), qui ont compilé ces statistiques, insistent sur le fait que les Occidentaux ont émis en moyenne 10 tonnes par habitant alors que les Chinois en ont émis 5,8 et les Indiens, 1,5. De plus, disent-ils, une partie du «bon» bilan apparent de l’Occident tient aux délocalisations de l’industrie lourde occidentale vers les pays émergents, qui consomment des biens dont la facture énergétique n’apparaît pas dans leur bilan.
Selon sir Nicholas Stern, auteur du célèbre rapport de 2009 sur le coût de l’inaction en matière de changements climatiques, «les progrès accomplis au niveau international depuis le modeste succès de Cancún en décembre dernier ont été très lents et minimes». Dans une entrevue au Guardian, en Grande-Bretagne, l’économiste de réputation internationale ajoutait que «la fenêtre pour une intervention internationale efficace sur le climat s’amenuise chaque jour davantage». Avec la dernière hausse des émissions, disait-il, la planète en revient au scénario du laisser-faire, qui pourrait provoquer un réchauffement moyen du globe, non pas de deux degrés Celsius, mais de quatre degrés.
Selon Patrick Bonin, de l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA), un réchauffement de cette ampleur aurait des conséquences majeures pour tout le nord du Canada et du Québec. Cette région accuserait, comme toutes les régions nordiques, une hausse moyenne beaucoup plus importante. Les chercheurs évoquent une hausse moyenne des températures de ces régions entre huit et dix centigrades, qui aurait d’énormes impacts sur les infrastructures présentement bâties sur un pergélisol bien stable.
Sombres perspectives d’action
Pour l’instant, l’Europe est la seule partie du monde où la lutte contre les changements climatiques a progressé sérieusement, sans pour autant provoquer de problèmes économiques, contrairement aux prédictions de pays récalcitrants comme le Canada et la Russie. Ces deux pays, ainsi que le Japon, ont pour leur part fait savoir publiquement qu’ils ne veulent pas s’engager dans une deuxième phase du protocole de Kyoto, un des grands enjeux des négociations de Bonn.
Par contre, contrairement au Canada qui ne fait même plus semblant de respecter ses engagements envers le protocole, le Japon, même s’il ne compte plus que sur 19 de ses 54 réacteurs nucléaires, entend néanmoins respecter ses engagements au sein du protocole. Mieux, et malgré les coûts faramineux du drame de Fukushima, le Japon entend toujours verser aux pays en développement les 15 milliards promis à Copenhague pour les aider à s’adapter aux changements climatiques.
De son côté, l’Europe respecte son engagement de maintenir ses émissions à 8 % sous leur niveau de 1990. C’est la seule région du monde à y arriver méthodiquement. Les États-Unis, pour leur part, sont loin du compte, comme le Canada, avec des dépassements d’environ 17 % au-dessus du niveau de référence de 1990.
Et le gouvernement Obama, tenu en laisse par une Chambre des représentants désormais majoritaire, risque fort de ne pas pouvoir viser plus haut qu’à Copenhague dans les prochaines années. Il vise tout au plus à ramener ses émissions en 2020 au niveau de 1990, alors que l’Europe vise un objectif de -20 %. L’inertie des États-Unis risque de paralyser l’action dans les grands pays émergents, qui n’entendent pas se handicaper avec des réductions inférieures à celles de leur principal concurrent. Et le Canada, de son côté, se comporte comme le 51e État du pays voisin et comme un de ses moins performants.
Quant à la Chine, elle fait des pas de géant même si elle n’arrive pas à stabiliser ses émissions, les plus élevées de la planète depuis trois ans. Elle s’est donné un plan quinquennal d’interventions, qui impose une utilisation plus efficace des énergies fossiles à ses grands producteurs en même temps qu’il stimule le recours aux énergies vertes. La Chine est d’ailleurs en voie de déclasser les États-Unis comme premier producteur éolien de la planète et elle investit massivement dans la production de voitures tout électriques.
Mais ces progrès sur le terrain ne suffiront pas à enrayer la hausse de la température du globe. Selon l’ONU, tous ces efforts réunis permettront tout au plus d’atteindre 60 % des réductions nécessaires pour stabiliser la hausse du climat à 2 °C. Et aucun pays, sauf l’Europe, n’envisage ouvertement d’augmenter ses efforts de réduction, comme on l’a vu à la rencontre de Bangkok en avril.
De plus en plus de voix s’élèvent d’ailleurs pour abaisser cet objectif de stabilisation du climat. Cette semaine, Christina Figueres, la nouvelle patronne du Secrétariat de la Convention sur les changements climatiques, déclarait qu’il faudrait cibler désormais 1,5 °C afin d’augmenter les chances de la planète d’éviter l’auto-emballement de la hausse du climat.
En se rangeant du côté des petits pays insulaires, Mme Figueres rejoint le point de vue de plusieurs pays qui soutiennent qu’une concentration de 450 parties par millions de CO2 dans l’atmosphère terrestre — ce qui correspond à la hausse de 2 °C — est un niveau de risque inacceptable car il sacrifie plusieurs petits pays insulaires et des pays d’Afrique, notamment, où le climat rendra la vie impossible en raison de sécheresses et de pénuries alimentaires croissantes.
Mais pour l’instant, les vrais décideurs du sort du monde roulent dans de gros 4×4 climatisés dans lesquels ils se sentent à l’abri de toute crise climatique. Ils professent que les inondations, les sécheresses et les ouragans plus graves et plus fréquents sont une invention d’écologistes enragés et non les conclusions de la meilleure science disponible sur la planète. Avec une boisson gazeuse rafraîchie par le frigo interne de la voiture, les problèmes de chaleur, c’est pour les autres…
auteur : Louis-Gilles Francoeur, Le Devoir